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Mon histoire n’est pas unique, des millions de Syriens ont des histoires et des souffrances beaucoup plus dures que la mienne. Je la raconte parce que je peux en témoigner et peut-être parce que sa fin ne porte aucune couleur grise.

1990- Assise dans une pièce avec trois « employés » dans un vieux bâtiment de la mairie, service de l’état civil, en attendant pouvoir obtenir ma pièce d’identité suite à mon retour en Syrie après une vie à l'étranger qui a duré deux décennies environ.

Un peu plus tard : je suis embarquée dans une voiture Peugeot avec quatre individus armés qui se sont introduits brutalement au bâtiment et m'ont conduite.

Mes souvenirs d'été, beaux et rares, de la ville de Hama se sont évaporés avec le temps ; il ne me restait de la ville que des histoires effrayantes du massacre de 1982.

J'ai été terriblement terrifiée de me retrouver avec des hommes armés à l'extérieur de Hama.

Bien plus tard après, j'ai appris que le bâtiment n’était qu’une école où des générations de filles étaient passées par là . Le régime l’a transformée en centre de sécurité qui juxtapose la mairie.

Dans le troisième sous-sol de ce centre d’horreur qui pèse sur la ville, j’ai signé sur les questions que l'agent m'a posées sans pouvoir lire ce qui avait été noté. J’ai été libérée après minuit.

2006- Des lycéens dirigés par le président éternel de l’union des étudiants syriens portaient de gros bâtons sur lesquels était hissé l’ancien drapeau de la Syrie, devenu “le drapeau du régime” avec son trait rouge vif.

Ils se sont mis à nous frapper, nous le petit groupe d'individus d'âge plutôt avancé, qui manifestait contre la loi martiale et l’état d’urgence qui constituaient en réalité un désordre total dans la gestion sécuritaire du pays où rien n'était réglementait par la loi.

Ils ne connaissaient rien de l’état d’urgence ni de la loi martiale ; ils ne connaissait rien non plus du droit, ni des lois et de la constitution. Tout ce qu’ils savaient c'était “ Assad pour toujours”. Ce sont des générations entières qui répètent ce slogan depuis leur tendre enfance.

C’est comme ça que la Syrie a vécu pendant des décennies, dans un état de mort clinique avant la révolution des communications et après avoir confié la gestion du Liban,“le voisin démocratique”, au régime dictatorial Syrien.

16/12/2007- Pour la deuxième fois je me trouve dans une voiture Peugeot avec un homme armé et des agents des renseignements, sur la route qui conduit à Damas.

J’ai commis un interdit majeur, j’étais parmi ceux qui demandaient le changement démocratique, pacifiste et progressif lors d'une réunion deux semaines plus tôt.

Mon mari a été également arrêté à l'hôpital où il était directeur, puis conduit, pieds et mains menottés aux frontières jordaniennes où il fut abandonné. L'hôpital a été ensuite fermé par arrêté du bureau de la sécurité nationale.

Dans le premier sous-sol du centre de sécurité j’étais jetée à côté d’une porte noire ; de sa partie basse se dégageait tout ce que vous pourriez imaginer comme odeurs nauséabondes, la sueur et toutes les émanations de la peur et de la mort. Je sens encore tous les détails de cette odeur…

Je ne vais pas parler ici des cris de supplications et de gémissements dévoilés et amplifiés par le silence de la nuit, puis masqués par le bruit de la ville quand elle s'éveille.

Je ne vais parler non plus des séances de torture dans le couloir juste à côté… Je ne parlerai pas, je ne parlerai pas…

Je crois que la mort sous la torture, dans les prisons du régime, de 11,000 martyrs, bien documentée par des photos qui montrent une horreur inimaginable et que les Syriens regardent pour essayer de retrouver les visages de leurs proches disparus, va suffire !

Je voudrais que vous sachiez c'est qu'ils ne traitent pas uniquement les accusations politiques mais tous les autres procès : le vol d'un vélo par un jeune, la prostitution ou la drogue.

C’est eux qui prennent la décision de libérer quelqu’un, de le garder arbitrairement pour la durée qu’ils veulent, ou de le transférer au tribunal accompagné d'un procès verbal où ils rédigent ce qu'ils veulent comme aveux obtenus sous la torture .

Les renseignements généraux ont englouti toutes les autres institutions. C'est eux qui font la loi en Syrie.

février 2007- Du centre de renseignements à la prison des femmes à Douma.

C'était le lieu dont rêvaient toutes les prisonnières que j'avais laissées dans ce sous-sol pourri où j'étais. Je vis dans une cellule de prison qui contient 20 lits seulement et à peu près 70 prisonnières.

J’ai partagé pendant plusieurs jours mon lit avec une dame quinquagénaire Cette dame avait été embarquée, arbitrairement, avec ses frères qui eux avaient des chefs d'accusation. Conséquence : elle passe 11 ans dans un centre de renseignements avant qu’elle ne soit libérée puis remise en prison afin d'être transférée devant la justice !

Un jour, quatre femmes et vingt hommes qui avaient été jugés pour trafic de drogues, ont été libérés de la prison d'Adra grâce à l'intervention de Hassan Nasr-Allah

La torture, le passage à tabac, les violations, étaient aussi des pratiques courantes et routinières y compris dans les bureaux d'enquête criminels. Très peu de prisonnières ont échappé aux violations . A l'instar des centres de renseignements, l'incarcération pouvait se prolonger d'une manière arbitraire.

Les procès constituaient un marché lucratif. Chaque procès avait un tarif. Rares étaient les juges qui n'étaient pas corrompus. Certaines prisonnières avaient des liaisons avec certains gardiens du Palais présidentiel. C'était un business d'après ce que j'avais compris.

Pendant deux ans et demi, je l'ai vue nue ; tous les recoins de son corps étaient témoins des violations qu'elle a subies par les agents des renseignements. La Syrie entière était devant moi, sans les enveloppes artificielles de ses administrations qui masquaient son drame !

16/ juin /2010- Je suis encore dans le même centre des renseignements. La période de ma rétention est terminée ; je sais qu’ils peuvent me garder ici le temps qu’ils veulent.

Les yeux bandés, menottée, ils m'ont jetée dans une rue à Damas après m'avoir menacée de m'accuser de trahison majeure si jamais je recommence.

Cinquante ans avant Daesh, le régime criminel, confessionnel prétendu laïque, tue les Syriens ; mais c'est la loi du silence ! La communauté internationale fait semblant d'ignorer et maintient avec le régime cette loi du silence.

Quelque mois plus tard la révolution a commencé.

Printemps 2011

Les Syriens sortent dans les rues par milliers et scandent “la mort et non l’humiliation” et “ des millions de martyrs nous allons au paradis” .

Ils n’aimaient pas la mort ; ils la connaissaient très bien car ils l'ont vécue lentement pendant des décennies. Ils se sont rebellés contre elle. Mais ils savent que leur salut passe par ce sacrifice ; ils l'ont fait pour ceux qui vont venir après.

Des milliers avaient leurs téléphones portables, cet outil orphelin des Syriens ; ils pensaient qu'il allait les protéger en transmettant leurs misères au monde qui les a laissés seuls.

Je suis à Hama. Des centaines de manifestants pacifistes entourent l'hôpital pour protéger les blessés des forces de sécurité.

Les enterrements se transformaient en manifestations. Les manifestations passaient par “Almadanieh”, le quartier des chrétiens ; on levait les croissants et les croix et on demandait aux gens de participer.

Je souhaite que vous imaginiez ce qui peut faire bouger une ville comme Hama où des jeunes et des vieux se sont mis à manifester devant les ambassadeurs de la France et des États-Unis en sollicitant leur soutien et aide, alors que cette ville connaît très bien, et mieux que les autres villes syriennes, la brutalité du régime ; elle demandait au monde la protection alors qu’elle sait très bien que tout le monde s’est tu face à l’horrible massacre qu'elle a connu dans les années quatre-vingt, et s'est comporté avec l'auteur de ce massacre, à savoir le régime, comme si de rien n'était !

Pendant un an et demi ou deux ans, la révolution était pacifique. Par contre, elle faisait face à toute sorte de criminalité de la part du régime.

Toutes les armes ont été utilisées contre le peuple, y compris l'arme chimique, devant les yeux du monde entier qui regardait sans rien faire.

Le système international soit il soutient le régime, soit ferme les yeux sur ses exactions car il n'a aucun intérêt à le faire tomber. Il est au courant de sa prétendue laïcité sauvage, menteuse. Il connaît ses relations douteuses et prouvées avec le terrorisme, mais fait semblant de ne rien voir. Il a appuyé ce régime plusieurs fois lorsque ce dernier a eu des périodes difficiles.

Aujourd'hui aussi, ce même système traite avec le régime en essayant de légitimer sa présence sous prétexte du terrorisme de Daesh. On sait très bien que ce régime a créé ce terrorisme à cause de son confessionnalisme et de son fol extrémisme. Il l'a sorti de ses sous-sols où il détient des milliers d'hommes.

Leila (prisonnière de Bloudane à côté de Damas, de confession chrétienne)… Leila : crois-tu au prétexte du terrorisme ? Crois-tu que celui qui a amené ta fille à la prison et t'a menacée à travers elle, est celui qui te protège ? Celui qui a violé tes droits, t'a torturée et t'a fait vivre dans la pauvreté est celui qui te protège !

N'était-ce pas une chose normale, que personne n'a relevé d'ailleurs, que l'évangile, la statue de Jésus, la photo de la Kabaa et les noms de dieu se juxtaposaient dans l'une des pièces où tu étais détenue ? L'image de la vierge Marie au dessus du lit dans la cellule bondée, lit qui a abrité beaucoup de prisonnières : est-ce que quelqu'un a tenté de la retirer ? Les filles de la région de Zabadani, des amies à ta fille, ne t'ont pas raconté qu'elles ont soutenu ta fille mieux que la famille et les voisins ?

La révolution n'est-elle pas sortie du fond de la ville et des quartiers pauvres. Ses habitants sont ceux que tu as connus et dont tu fais partie. Est-ce bien cela la protection que tu veux ?

Et toi Amira, tu m'as dit un jour, lorsque je m'étonnais dans la pièce que nous partagions en prison personne ne connaissait les frontières de la Syrie : « Nous ne sommes pas seulement en déhors de l'Histoire, mais en dehors de l'Histoire et de la géographie ». Aujourd'hui, alors que tu as commencé à posséder l'alphabet de l'histoire avec ta révolution sur le silence et la peur, que tu as appris la géographie, les frontières car tu as pris le chemin de l'exil à pied, fuyant la mort et les barils explosifs, que tu as connus ce qui se trouve après les frontières, tu as connu la mer et ses limites, tu as expérimenté la dureté de ses vagues, ses poissons sauvages qui dévorent nos corps… Amira, dis à ce monde où tu cherches refuge : nous ne voulons pas une patrie de substitution. Seulement lavez vos âmes du poids de notre tragédie et de notre sang et ne permettez pas à vos gouvernements de redonner à ce régime criminel une légitimité, et ce quelque soit le prétexte. Cela nous suffira.

Tag(s) : #Manifestations, #Cercle des Femmes

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